❝ See you crystal clear. ❞

Le vent sifflait dans les rues de Reykjavik et la nuit était tombée depuis une bonne heure déjà. L'humidité se faisait sentir, lourde et froide sur votre peau, provoquant de la buée sur la moindre fenêtre. Antón avait quitté l'hôpital où il était interne depuis quelques temps déjà. Sur le chemin du retour, coincé dans une file causée par un feu rouge trop capricieux, le jeune garçon avait aperçu une jeune femme marchant sur le trottoir, d'une allure assez pressée. Cette jeune blonde c'était Melrós. Elle avait été, il y a quelques mois déjà, sa patiente. Elle souffrait d'une anomalie cardiaque, que les médecins avaient réussi à soigner pour l'instant. Antón passait régulièrement la voir dans sa chambre pour lui demander si tout allait pour le mieux, et au fur et à mesure des visites, ils ont tissé des liens. Sans vraiment se connaître. Elle lui a révélé après coup qu'elle volait régulièrement de la drogue dans les hangars du port de Reykjavik pour la consommer, et parfois la revendre. Antón n'avait pas vraiment apprécié. Depuis, à chaque fois qu'il croisait la route de la belle, il avait pris l'habitude de la suivre pour l'empêcher de faire une nouvelle fois un vol de ces substances dégueulasses. Sans se montrer, bien évidemment. Soit cagoulé, soit caché. Les idées ce n'était pas ce qui manquait à Antón qui était d'un naturel très imaginatif et créatif. Alors ce soir-là, il réitéra sa bonne action qu'il aimait tant faire. Changement de plan, il tourna à droite, pour suivre la même direction que la jolie blonde qui marchait d'un pas rapide sur le trottoir. En voiture, elle ne pouvait pas le reconnaître car pour une question de style, Antón avait acheté une vieille voiture d'occasion à vitres teintées. Pratique. Lorsqu'ils arrivèrent près du hangar où il l'avait déjà interceptée plusieurs fois, Antón coupa le moteur de la voiture et la laissa descendre tout droit, pour aller s'arrêter un peu plus loin dans la rue, alors que la belle tournait encore une fois à droite pour aller, discrètement, vers le hangar. Antón sortit de sa voiture, mit sa veste sous son dos et tira une grimace, provenant d'un frisson glacial qui avait parcouru tout son dos. L'humidité qui tombait sur la ville cette nuit rendait ses boucles brunes encore plus volumineuses. Il se dépêcha de rattraper la belle tout en essayant de faire le moins de bruit possible. Merde. Pas de cagoule sous la main. Tant pis, dans cette pénombre, elle ne pourrait pas le reconnaître, de toute facon. Par contre, Antón se baladait toujours avec un flingue en poche. Non pas pour l'utiliser, mais pour, la plupart du temps, frimer et faire le malin. Mais il était tout de même chargé, il y avait deux balles à l'intérieur du petit calibre. Antón dévala la pente bétonnée qui menait au hangar et aperçut au loin l'impair de la jeune femme qui se dirigeait vers la porte du grand bâtiment portuaire. Il courut jusqu'à être à distance de cinq-six mètres de la voleuse. Il sortit son flingue, le pointa vers son ex-patiente. Ne fais pas ça ! lui cria-t-il alors qu'une de ses grandes boucles humides lui tombait sur les yeux.

◑ FEATURING. ANTON NILSSON
Reykjavik tremblait sous les rafales de vent qui animaient ses habitants. Les rues s’assombrissaient d’heure en heure, et les trottoirs se noyaient sous la pluie. L’eau ruisselait sur le goudron, se mêlaient au gris du ciel étoilé. Melrós trottinait lentement, oscillant sur ses talons de dix centimètres. Elle se précipita vers un abri bus, se protégea quelques secondes, avant de remarquer que le dernier bus venait de passer il y a seulement une minute tout au plus. Soixante secondes. Le temps qu’elle avait mis pour lacer ses chaussures à talons, en pleine rue. Le temps qu’elle avait mis aussi pour crier sur un gamin qui avait traversé la route à toute vitesse, sur ses rollers. Tout ce temps perdu. La jeune femme poussa un long soupir et continua son chemin. Le prochain bus devait passer dans quarante minutes, de quoi pouvoir rattraper l’autre bus, ou presque. Quelle idée elle avait eue, de passer par le quartier le moins fréquenté de tout Reykjavik ! et par conséquent le quartier où les bus se faisaient de plus en plus rares, et d’autant plus la nuit tombante. Un faux pas et elle glissait sur le sol humide. Une cheville qui se claque, qui se foule, qui se tord, et elle s’étendait de tout son long. Elle n’était plus qu’à une dizaine de minutes du port de Reykjavik. Même si sa mauvaise journée l’avait épuisée, il fallait qu’elle passe par le hangar, voir si de nouvelles marchandises illicites avaient été reçues, avant de retourner travailler au Marin’s. La nuit était tombée, les nuages se formaient doucement. Ses pas s’alignaient de plus en plus rapidement. La chaussée s’asséchait et elle reprenait son aisance habituelle. Elle secoua ses boucles blondes, encore humides de l’averse qu’elle avait subie. Elle se baissa pour pénétrer dans le hangar qui s’avérait de plus en plus étroit, et souleva les cageots en bois, fermés de toute part. Elle réussit à les ouvrir grâce à une pince trouvée sur le sol et elle y jeta un œil. Elle prit le cageot sous le bras et se dirigea vers le bâtiment portuaire, où elle pourrait découvrir de nouveaux trésors. Ce n’était qu’un apéritif. Soudain, elle sentit une présence derrière elle. Se retournant d’un geste, elle entendit l’écho d’une voix, elle aperçut une arme pointée vers elle. « Ne fais pas ça ! » Elle lâcha le cageot qui vint se briser sur le sol dans un fracas. Une poudre d’une couleur pâle et candide vint se déposer sur le goudron. Melrós recula de deux pas, effrayée, et tenta de saisir son portable qui se trouvait dans sa poche. Elle ne parvenait pas à deviner qui se cachait derrière cette arme. L’obscurité était trop intense. La source de lumière qui balayait le port se résumait à une dizaine de lampadaires, tous situés sur le littoral. Pas de chance. La jeune femme appuya sur quelques touches de son téléphone, espérant que ce soient les bonnes. Mais elle n’entendit rien, hormis une balle qui s’échappa. « Ne bouge plus, ou alors cette balle te va direct dans la tête. Ecoute-moi bien, je suis au courant de tout. Tout ce que tu caches. Donc n’essaie pas de me résister. Va remettre ce cageot à sa place et ne reviens plus jamais ici. » La voix grave la fit frémir et elle acquiesça inconsciemment, de peur certainement.

Une fine bruine commençait à tomber dans les alentours du port. La jeune fille lâcha un cageot en bois qui tomba dans un fracas sonore. Une poudre blanchâtre sembla s'en échapper et se répandre sur le sol. La jeune fille trifouilla pour essayer de trouver son portable mais dans l'obscurité elle ne parvenait pas à grand-chose. Antón, de peur qu'elle n'appelle quelqu'un à sa rescousse, tira en l'air. La femme sursauta. Ne bouge plus, ou alors cette balle te va direct dans la tête. Écoute-moi bien, je suis au courant de tout. Tout ce que tu caches. Donc n’essaie pas de me résister. Va remettre ce cageot à sa place et ne reviens plus jamais ici, lui cria-t-il assez fort pour qu'elle l'entende. La blondinette, apeurée, sembla obéir. Elle reprit le cageot, du moins ce qu'il en restait et alla le reposer dans le hangar. Elle sortit et ferma la porte. Antón tenait toujours le revolver braqué sur la jeune fille. Elle se stoppa, attendant sans doute de nouveaux ordres de la part de son, comme qui dirait, ravisseur. Soudain, Antón sentit quelque chose de gros et mouillé se frotter contre son jeans. Dans la pénombre, un chien amical était venu se frotter, tout trempé, aux longues jambes du jeune homme, en recherche de câlins. Dégage sale bête, merde, c'est pas mon problème si t'es en manque ! lança-t-il au chien. Malheureusement, il avait pris une voix tout à fait normale, car pour crier les ordres à la fille, il avait légèrement grogné et transformé sa voix. La fille allait sûrement faire le rapprochement, merde c'était foutu. Antón envoya balader le chien d'un coup de pied léger et d'une injure bien à lui. La fille se rapprocha de lui, tout en restant à une distance de sécurité. Toi, je te reconnais ! lâcha-t-elle enfin, comme une évidence, comme si tout s'éclairait. Le jeune bouclé était totalement démasqué. Il prit ses jambes à son cou car il ne voulait vraiment pas avoir de comptes à lui rendre. Il rangea son revolver dans la poche de sa veste et piqua un sprint jusqu'à sa voiture. Il trifouilla dans son pantalon à la recherche des clés du véhicule. Foutue poche trop étroite ! Trop tard, il sentit une présence derrière lui. Elle l'avait sans doute rattrapé. Antón afficha une mine crispée risible à souhait et n'osa pas se retourner, de peur de rencontrer le visage dur de la belle blonde, qui, sans doute, ne devait pas le porter dans son coeur en ce moment-même.